Bifröst

Pont incandescent du Edda reliant Midgard à Ásgard, Bifröst sert ici de métaphore : franchir des seuils, mêler lieux et temps. Dans la nuit polaire — entre toundra et néons de Finnmark et Troms — Romain Coudrier piste les vestiges d’un imaginaire viking assourdi.

La quête glisse vite vers l’errance. Aux sagas succèdent parkings déserts, stations‑service, façades vitrées. Les héritiers modernes, silhouettes fugitives, semblent s’être éclipsés. Le noir‑et‑blanc granuleux, une lumière de « film noir » et un montage éclaté brouillent les repères.

À la manière du Hávamál, le projet rejette tout dogme. L’anecdotique devient fil conducteur : passages, industrie, consommation, mémoire, en contre‑champ d’un folklore marchand.

Que reste‑t‑il d’épique sous les enseignes lumineuses ? Peut‑être une incertitude, étirée dans un récit quasi muet, à la temporalité brisée.

Fidèle à la croyance viking en un destin implacable, Bifröst suit un trajet qui paraît écrit d’avance, scandé de rêves prémonitoires. L’issue importe peu ; seule compte l’audace d’avancer.

Les questionnements photographiques de Romain Coudrier naissent de huit années de trajets quotidiens entre Mulhouse et un lycée allemand, où l’école buissonnière puis un second bac gravent un goût durable pour l’échappée et la liminalité. Partisan du « road‑trip photographique », il explore les zones frontières, l’expérience directe et l’entre‑deux.

Un stage à la galerie Polka – et la découverte de Klein, Moriyama, Koudelka – fait basculer son regard au‑delà de l’humanisme classique. Cœurs orphelins (Katmandou, 2016) inaugure une veine documentaire intime. Après cinq ans en conseil, J’aime plus Paris (2022) mêle photographie de rue et écriture d’auteur, prélude à Bifröst (Arctique, en cours) et à TMPC – Tu marcheras à pieds, connard ! (2023), neuf mois d’auto‑stop aux lisières du vagabondage.

Depuis 2023, ses images circulent en festivals (Arles OFF, Besançon, Rome, Athènes…), en galeries (Marseille, Glasgow) et dans la presse spécialisée (PHOTO, OpenEye, Réponses Photo…) comme généraliste. Deux hors‑séries lui sont consacrés chez Docu Magazine et Bizalion Editions.

Il cherche aujourd’hui à concilier la distance analytique de l’école de Düsseldorf et la subjectivité héritée du « gonzo » pour forger une parole visuelle singulière.

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