Une belle-fille en Ardèche

Tetratrichobothrius flavicaudis

Laurence RINGUET

C’est pour obéir à mon beau-père que je n’ai pas mis en purée l’effroyable scorpion qui se hissait sur le dos de mon enfant endormi à l’aide des reliefs de la couverture. L’intrus avait profité de l’ouverture de la porte-fenêtre donnant sur le balcon du premier étage, probablement attiré par l’humidité due à la présence d’une salle de bain, et il avait exploré plus loin vers la chambre d’enfant plongée dans la pénombre. Il ne faut pas le tuer, il n’est pas mortel.
L’orage se fait attendre, les bêtes et les humains s'énervent. Surtout moi.

Je suis sensible aux ondes qu’elles soient émotionnelles, magnétiques ou telluriques. Ce coin du Bas-Vivarais est un univers minéral qui semblerait hostile s’il n’y avait pas l’énergie et la joie de vivre de ses occupants. Les murailles et faysses patiemment montées par les anciens sont des rappels de l’inconfort et des combats menés pour y introduire quelques cultures. Chaque petite pierre qui les constitue me renvoie en écho du passé une leçon de résilience. Cependant toutes sortes de bêtes y côtoient les hommes, comme une armée de guerriers furtifs doués d’une force solaire. A quand le grand basculement ?

Quand l’atmosphère est lourde les soirs d’étés, les scorpions entrent dans les maisons. Mes beaux-parents affirment qu’il suffit de les attraper doucement avec le bord d’un verre puis de les jeter dans un pot de plante verte de la véranda ou dehors au pire. Tout le monde en Ardèche vous confirmera le lendemain que c’est comme ça qu’il faut faire. Vérifié sur internet : c’était bien un scorpion noir avec un peu de jaune. Tetratrichobothrius flavicaudis.

J’ai beau être entrée dans cette famille depuis 30 ans, je lis encore dans le regard de mes beaux-parents l’amusement que je suscite en me débattant dans leur milieu de vie, telle une aventurière tout juste débarquée en TERRA INCOGNITA.

Laurence RINGUET a écrit cette nouvelle inspirée par son expérience dans le Bas-Vivarais. L'Ardèche lui a été révélée en 1995 à travers les récits d’un collègue de travail, qui lui parlait des cigales, du bois de Païolive et des serpents tombant des arbres. Ces histoires l’ont conduite à épouser l’homme qui lui racontait ces anecdotes, et à fonder une famille dans cette région.

Aujourd’hui, Laurence poursuit une formation en écriture de scénario tout en travaillant entre deux CDD d’assistante administrative et juridique. Elle participe également à des festivals et ateliers, poursuivant son parcours créatif.

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