Quatre saisons sur le Causse

Susanne Derève

extraits de Quatre saisons sur le Causse

- Causse

Ondulant à perte de vue dans la lumière

les courbes blondes des prairies

griffées de la pierre grise du calcaire

le sillon brun des labours

et les vertes dolines

où le vent frais balaie la chaleur de midi

berce dans les sous-bois les strates accumulées

d’anciens automnes

Résonne de loin en loin

l’écho d’un pas

le craquement assourdi du bois mort

Soleil

Le long dimanche de fiançailles

d’une fin d’été

avant les noces blanches d’hiver

On se prend à rêver de chemins effacés

de villages engloutis sous la neige

du tintement des pelles sur les seuils

de ciels de cire ponctués de fumées grises

comme si l’oubli n’était en toute saison

le cœur de ce pays son âme claire

sa terre promise

- Clapas

Nulle divinité dans la solitude étoilée

des enclos

Sous les pierriers de roches nues

où nous posons le nôtre

court un pas plus ancien

que la mémoire

navigue un chant ailé dans les replis

du vent

Semant les prairies d’herbes folles

émergent ici des îles venues du fond des âges

                        - clapas de roches grises

prisonnières des rets du grand soleil d’automne

qu’un souffle invisible disperse

- Vers Nissoulogres

Vers Nissoulogres

mon pas léger sur le sentier a pourtant délogé

la buse

et le moineau qui picorait les mouches

sur les bouses

débusqué le chevreuil  sa voltige dans la prairie

- le don fauve du jour fiché dans la rétine

et que la nuit ravive aux abords du sommeil

comme un songe ineffable  -

-Ame qui vive

Ame qui vive ?

Non, le bruit du vent.

En sentinelle, la lisière des enclos, les fûts dressés

des sapinières

et de courtes brassées d’épines : chardons, carlines, genévriers,

le lit du vent.

Celui du causse court en longues foulées sonores

semblables à la rumeur d’une mer ancestrale,

essaime un pépiement d’oiseau,

nasillard, monocorde,

émonde l’Aubrac de ses brumes.

Choisis une pierre de calcaire, blanche et dorée.

Grave-la de ton nom.

Je te couronnerai roi d’une solitude où seule vit,

souffle et trépigne la grande harpe du vent.

Epouse-la, ou fais-toi homme du silence pour la combattre

tant elle nous tient dans sa main, étrangers,

incongrus, couvrant le chétif grelot de nos voix,

nous forçant à remettre à plus tard de dire

l’étoupe blonde des prairies harassées,

l’argile lourde des chemins, l’arpent noir

des forêts, et seule âme qui vive,

le babil insensé de l’invisible oiseau,

son chant nuptial dans la longue liturgie

du vent.

Susanne Derève partage son temps entre Brest, aux confins maritimes de la Bretagne, et Balsièges, sur les hauteurs lozériennes qu’elle a découvertes avec émerveillement il y a quelques années. Cette double appartenance nourrit une écriture attachée aux paysages : on en retrouve l’empreinte dans le manuscrit Quatre saisons sur le Causse, en quête d’éditeur.

En 2025, son recueil Petite mère – écrits au fil de visites à sa mère bientôt centenaire, frappée par la maladie d’Alzheimer – a reçu le Prix des Trouvères Lycéens avant de paraître aux Éditions Henry (collection Écrits du Nord).

Active sur la scène poétique contemporaine, Susanne Derève a contribué, lors du dernier Printemps des poètes, au lancement de la Maison de la Poésie de Brest, portée par Yan Kouton et Magali Simon. Elle anime également, avec René Chabrière, le blog Art et Tique et pique – Mots et gammes (, espace de partage et de découvertes poétiques.

Ses textes paraissent régulièrement dans les revues Poésie / première (nos 89, 90 et 91), Hespérie, Les Cosaques des Frontières et Lichen (n° 108, mai). Poète attentive à la fragilité humaine comme à la beauté ténue des territoires, Susanne Derève poursuit une œuvre où s’entrelacent mémoire, nature et présence au monde.

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