Phoenix
"La roche est à nu, le relief ressemble au dos d'un vieux chien pelé. Le printemps a été une explosion de vie. Les couleurs ont envahie le paysage. Les papillons dans le vent par milliers, les abeilles sont de retour. Les éclaircies provoquées par l'incendie révèlent de nouveaux fragments de la relation plus que millénaire entre de l’humain et ce territoire."
Les Baouris - Alt.827m
« Il est environ 13h, le soleil est haut dans le ciel. Depuis l’incendie de 2022, l’absence de couvert végétal expose le sol directement aux rayons du soleil, qui m’aveuglent et chauffent ma peau rougie par l’effort. Le ciel est partout sur le causse. La désolation aussi. Avec ma chambre 4x5 inches dans le dos, je me dirige vers les Cazals pour faire une photo de cette fameuse maison de chasseur. Muriel, la propriétaire, y vient de temps à autre, d’après les habitants du Vors, le hameau situé non loin. Sur le plateau, on ne voit que cette bâtisse en pierre, une vraie caussenarde comme on dit ici, construite pour résister au climat qui est rude l’hiver. Je vois au loin un chien sous le porche de l’entrée. Un chien blanc, un chien de chasse. Je l’appelle, il aboie, il fait des va-et-vient avec l’intérieur, excité. Je vois qu’il regarde quelqu’un à l’intérieur, il y a donc des chances que je la croise enfin, depuis le temps que je la cherche. »
Extrait - Août 2023
Traces de retardant chimique - Ravin des Arzioles - Alt.712m
Dans le sud-est de l'Aveyron, les stigmates sont toujours présents après l’incendie survenu en août 2022. Située sur la pointe sud du Causse de Sauveterre et des gorges du Tarn, la commune de Mostuéjouls est profondément meurtrie par les ravages du feu. Conséquence de l’épisode de sécheresse qui a touché toutes les régions de la France métropolitaine, certains massifs sont dévastés et l'espoir que la végétation retrouve son état antérieur s'éloigne peu à peu. D'origine accidentelle ou intentionnelle, les départs de feux sont souvent le résultat d'une intervention humaine. Les dégâts subis par le paysage sont vécus comme une agression.
Mostuéjouls Alt.472m
L’utilisation du support argentique noir et blanc avec une chambre 4x5 inch agit comme une loupe sur le temps, capturant l’essence brute de histoire de ce territoire, tandis que l’emploi du l’appareil numérique en couleur ouvre une fenêtre vibrante sur le présent. Ensemble, ces médiums tissent une fresque de réalités contrastées, où chaque image devient à la fois souvenir figé et écho vivant. Des paysages et détails m’ont tout d’abord attiré. La blancheur de la roche calcaire contraste fortement avec la noirceur des troncs calcinés, et les quelques herbes en fleurs qui poussent timidement dans un environnement sec et rocailleux sont comme des étoiles dans l’obscurité.
Entre un ciel surexposé et une terre brûlée, aller à la rencontre de ce territoire isolé semble être une expédition post accident nucléaire. Les habitants continuent de croire en leur environnement et pour certains l'attachement à la terre est plus fort que tout. C'est aussi parfois tout ce qui leur reste. Pourtant, les brûlages sont utilisés depuis la nuit des temps afin de dégager des prairies pour la culture et l’enrichissement du sous-sol. L’anthropomorphisation des coteaux par le terrassement permet également de développer une agriculture vivrière et des pâturages pour les troupeaux. Caractéristique de l’adaptation des populations à la pente et aux conditions climatiques extrêmes, l’absence d’entretien régulier accentue le ravinement qui devient inéluctable et parfois irreversible.
Troncs de pin sylvestre calciné - Le Salzet - Alt.818m
Après l’incendie, les vestiges de ces anciennes pratiques, quasiment devenues désuètes, réapparaissent par l’élimination totale du couvert végétal. Les plateaux et fonds de vallées étant aujourd’hui majoritairement convoités pour leur fertilité, l’agriculture n’est plus ici une pratique économiquement rentables dans le relief. Territoire très marqué entre des gorges encaissées et des plateaux accidentés et pourvus de dolines, seules surfaces exploitables pour l’agriculture et le pastoralisme, il laisse apparaître le substrat rocheux sculpté en dolomies. Les murets de retenus, les sentiers oubliés, des sépultures datant du néolithiques refont surface ne laissant pas le terrain sans intérêt pour l’oeil qui veut bien s’y poser.
Propriétaire - Lieu dit de Belle Vieille - Alt.771m
Sur les communes de Mostuéjouls et de Boyne, le feu a détruit 1360 hectares de pinèdes et de maquis, nécessitant l’évacuation de 3000 touristes et riverains avec l’intervention de 700 sapeurs-pompiers. La première vue des Baouris a été marquante au point d’y retourner régulièrement en fonction de la lumière et de la couverture nuageuse pour apprécier le relief et les nuances nouvelles que l’incendie a générées. J’ai décidé de parcourir ce territoire pour tenter de rencontrer les résidents qui ont vécu de près cet épisode qui restera dans les mémoires. En effet, c’est le premier incident de cet ampleur dans le sud Aveyron. N’ayant jamais eu à affronter un feu aussi destructeur, et d’origine accidentel, la population fait face aujourd’hui à un autre défis, celui de la résilience.
Cirque d’Eglazines - Alt.898m
Buis calciné et tapis de Funaire Hygromètre [Funaria Hygrometica] avec la teinte orange-brun caractéristique de cette mousse pyrophyte qui évolue sur des zones brûlées en raison de taux particulièrement élevés d’azote et de phosphore. Ici, un autre fléau sollicite la flore déjà soumise à rude épreuve. En effet la Pyrale du Buis [Cydalima Perspectalis] dont la chenille se nourrit exclusivement de buis, dévaste ce qu’il reste de végétation. Importée accidentellement d’Asie, elle n’a pas de prédateur connu à ce jour en Europe et se multiplie exponentiellement même à des altitudes comme le Causse Sauveterre à plus de 900 mètres en raison du réchauffement climatique.
Maison de Chasseur - Les Cazals - Alt.908 m
Cirse Commune [Cirsium Arvense ] Le Puech - Alt.910m
Le Bout du Monde est point le plus méridional du Causse Sauveterre et un belvédère qui permet d’avoir une vue d’ensemble de la confluence de la Jonte et du Tarn, deux cours d’eaux frontaliers de l’Aveyron et de la Lozère. Pour y accéder, il faut emprunter un sentier balisé qui contourne les propriétés privées dévastées par l’incendie. Les éclaircies ainsi créées ont permis l’essor des herbacées. Dans la lueur du crépuscule, les quelques tiges de chardons encore courronées de leurs aigrettes captent les derniers rayons lumineux pendant qu’une harde de mouflons s’eloigne rapidement vers le cirque d’Eglazines. Réintroduit en Lozère dans les années 1950, il s’épanouie dans les prairies le relief rocailleux des gorges du Tarn.
Vue du Tarn depuis le Bout du Monde - Roc des Agudes - Alt.838 m
[Ranunculus Fluitans] - Peyreleau - Alt.395 m
La Renoncule des rivières ou renoncule flottante est une plante aquatique vivace de la famille des Ranunculaceae. Elle forme de grandes colonies dans les rivières lorsque l’eau vive est de bonne qualité. Elle contribue à oxygéner l’eau. Ses tiges robustes peuvent être très longues, atteignant parfois plusieurs mètres. Elle a une floraison blanche qui s’épanouit l’été. Les vents thermiques puissants qui ont attisé les flammes à l’extrême ont également emporté les cendres qui ont ainsi contaminé les eaux des rivières. La jonte qui se faufille entre le Causse Méjean et le Causse Noir a vu sa turbidité, teneur d’un fluide en matières qui le troublent, augmenter au point de ne plus permettre à la faune aquatique de prospérer dans des conditions d’oxygénation optimales. Durant l’année suivante la faune a été fortement impactée.
Ravin du salzet - Alt.805m
Les fortes pluies sur sols dévégétalisés sont le premier facteur d'augmentation de la turbidité. Pour des raisons de coûts financiers, les arbres calcinés resteront dans le relief et ne pourront être évacués. Les intempéries continueront de drainer cendre et terre jusque dans les cours d’eaux. Affaiblis et plus sensibles aux attaques des parasites de faiblesses qui colonisent rapidement la zone parcourue par l’incendie, l’espérance de vie des arbres encore sur pieds est comptée. Cependant, les éclaircies provoquées par l’incendie permettent la prolifération des herbacées et des pyrophytes, et par conséquent une végétalisation rapide du sol.
Cheval dans l’enclos proche du départ de feu - Puech Cayrou - Alt.843m
Boulangerie Artisanale - Mostuéjouls - Alt.480m
La boulangerie associative de Mostuéjouls propose du pain cuit au feu de bois. L’utilisation des troncs brûlés qui ont été évacués par les élagueurs, inutilisables par la filière bois, est devenue courante et permet une économie substancielle pour cette activité précaire liée à un mode de vie plus sobre.
Les Vors - Alt.913m
Marie est chercheuse agronome à l’Inrae de Montpellier. Ses parents ont acquis le hameau des Vors dans les années 70. Les lieux ont fait l’objet de rénovations et d’amménagements intérieurs. Les hauts murs qui entourent les batisses caussenardes rappellent le besoin de se protéger du loup qui est présent dans le relief jusque dans les années 1930 et plus si on en croit les légendes. Sans raccordement à l’électricité ni à l’eau courante, la vie se synchronise aux rythmes naturels. Dans ces lieux qui ont directement inspiré sa vocation, elle tente, avec l’aide de son compagnon, de préserver ce qui reste de végétation et lutte en vain contre les dégâts infligés par le Pyrale du Buis.
« À l’Anthropocène succède donc, peut-on suggérer, un Pyrocène. Peut-on imaginer que la terre des hommes, celle à laquelle les êtres humains ont accès et qu'ils ont progressivement transformée, parte en fumée ? »
Joëlle Zasck « Mégafeux » / PAYSAGE / Revue de Projet d’Art et Écologie / P16.18.19 n°43
Dans le sud-est de l'Aveyron, les stigmates sont toujours présents après l’incendie survenu en août 2022. Située sur la pointe sud du Causse Sauveterre et les gorges du Tarn, la commune de Mostuéjouls est profondément meurtrie par les ravages du feu. Conséquence de l’épisode de sécheresse qui a touché toutes les régions de la France métropolitaine, certains massifs sont dévastés et l'espoir que la végétation retrouve son état antérieur s'éloigne peu à peu. D'origine accidentelle ou intentionnelle, les départs de feux sont souvent le résultat d'une intervention humaine. Les dégâts subis par le paysage sont vécus comme une agression.
Inspiré par le mythe de Perséphone, déesse grecque incarnant le cycle saisonnier de la végétation, le printemps, la renaissance et la mort, Phoenix prend la forme d’une métaphore que j’ai jugée utile à la compréhension de ce territoire riche d'histoire et de légendes où l’être humain et la nature partagent le même destin.
Entre un ciel surexposé et une terre brûlée, aller à la rencontre de ce territoire isolé semble être une expédition post-accident-nucléaire. Les habitants continuent de croire en leur environnement et pour certains l'attachement à la terre est plus fort que tout. C'est aussi parfois tout ce qui leur reste. Pourtant, les brûlages sont utilisés depuis la nuit des temps afin de dégager des prairies pour la culture et l’enrichissement du sous-sol. L’anthropomorphisation des coteaux par le terrassement a permis de développer une agriculture vivrière et des pâturages pour les troupeaux. Caractéristiques de l’adaptation des populations à la pente et aux conditions climatiques extrêmes, l’absence d’entretien régulier accentue le ravinement qui devient inéluctable et parfois irréversible.
Ce projet vise à documenter en filigrane la résilience des habitants de Mostuéjouls, située dans le sud-est de l’Aveyron, ainsi que l’impact des choix humains sur ce territoire bouleversé par les incendies. L’utilisation du support argentique noir et blanc avec une chambre 4x5 inches agit comme une loupe sur le temps, capturant l’essence brute de l’histoire de ce territoire, tandis que l’emploi de l’appareil numérique en couleur ouvre une fenêtre vibrante sur le présent. Ensemble, ces médiums tissent une fresque de réalités contrastées, où chaque image devient à la fois souvenir figé et écho vivant.
Des paysages et des détails m’ont tout d’abord attiré. La blancheur de la roche calcaire contraste fortement avec la noirceur des troncs calcinés, et les quelques herbes en fleurs qui poussent timidement dans un environnement sec et rocailleux sont comme des étoiles dans l’obscurité.
Sylvain Courros est un photographe français. Né en 1973, il vit et travaille à Bordeaux. Depuis plusieurs années, il développe une approche photographique dont le sujet est la grande précarité.
Il s’engage dans une démarche qui s’attache à révéler ce qui semble devenu invisible, dans une société sous tension où la grande précarité est symptomatique d’une rupture avec le devoir d’assistance. Sa pratique prend la forme d’un témoignage porteur d’une valeur éthique et politique.
« Ici la plage » dresse le constat des conditions de vie de personnes sans domicile fixe qui se sont constituées en communautés sur les berges du lac de Bordeaux. Exposé à l’automne 2023 au Garage Moderne, situé dans le quartier maritime, ce projet a reçu le soutien du Centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville de Bordeaux.
« État des lieux » inventorie les lieux de vie alternatifs répartis sur la métropole bordelaise et plonge dans l’intimité des migrants qui résident dans des squats. Soutenu par la Direction générale des affaires culturelles de la ville de Bordeaux, ce travail a fait l’objet d’une restitution lors de la première édition du Mois de la Photo de Bordeaux en avril 2024.
C’est au cours de ses études supérieures en technologies pour l’industrie et les laboratoires, en 1992, qu’il découvre le développement des films argentiques et les systèmes optiques. En 1998, sa rencontre avec Patrick Toth, de l’agence Viva, s’avère déterminante : il décide alors de se consacrer entièrement à la photographie. En 2001, il se perfectionne aux techniques de studio auprès de Michel Geney, du studio Burdin à Mérignac, en banlieue bordelaise. Il assiste des professionnels de l’image, puis répond à des commandes pour des entreprises.
Récemment, il a exploré les terres brûlées du causse de Sauveterre, en Lozère, avec sa chambre Wista 4 × 5 inches. La conception de livrets en auto-édition lui offre une autre approche du médium, grâce à la liberté narrative du récit imaginaire.