Quatre saisons sur le Causse (suite)
Susanne Derève
Peuple cueilleur de pluie *
Peuple cueilleur de pluie
qui vivais sans ruisseaux ni rivières
toute l’eau bue
par la pierre assoiffée
- Sauveterre
Tend l’oreille
petit peuple frugal
écoute sur le toit
tinter joyeusement l’averse
Toc toc
chante le cuivre des cuveaux
chantent les seilles et les seaux
et le zinc léger des citernes
Moissonne
peuple cueilleur
les grêles de printemps
amasse l’ondée parcimonieuse
des étés
engrange les orages
dans les puits florissants
de la froide saison
abreuve le grand Causse aride
- ta maison
* Cueilleurs de pluie : l’histoire de ces Caussenards qui pratiquaient l’agropastoralisme sur les terres calcaires de Sauveterre est évoquée au fil de l’exposition permanente du Domaine des Boissets (Lozère). L’eau y était une ressource précieuse apportée uniquement par la pluie qu’il fallait recueillir et stocker par tous les moyens.
En sentinelle
je me tiens
sur la ligne de crête de la splendeur
thyms et lavandes des estives
là où les oedipodes - les criquets roux aux ailes bleues
essaiment sous le pas
au faîte des prairies de graminées sauvages
en sentinelle
dans le vol du martin-pêcheur
le sillage des transhumances
- sabot de chèvre funambule
biche apeurée
comme elles j’habite
en lisière d’un monde
enseveli dans la noirceur
sur le fil de l’espoir
dans le fracas des guerres
je veille
les fragiles herbages de la beauté
Men-hir
Men-hir, pierre haute du souvenir
veille sur la Baraque au vent
sur la montagne
s’enroule dans le voile invisible
du souffle
fait chanter sous mon pas les pierres du passé
- loin ce temps de fougueuse jeunesse
tantôt rugueuses tantôt lisses et polies
comme le galet des rivières
Chemin de vieilles rengaines
il salue au passage les fleurs ingénues
pulmonaires pulsatiles
dans la tendre respiration des prairies
le disque d’or des cardabelles effeuillant
leur semence - en la terre leur mémoire
et la nôtre enfouies
* la Baraque au vent : il s’agit du Gite de la Baraque de l’Air – Les Bondons (Lozère)
Susanne Derève partage son temps entre Brest, où elle participe activement au développement de la jeune Maison de la Poésie et Balsièges, sur les hauteurs lozériennes qu’elle a découvertes avec émerveillement il y a quelques années. Cette double appartenance nourrit une écriture attachée aux paysages : on en retrouve l’empreinte dans le manuscrit Quatre saisons sur le Causse, en quête d’éditeur.
En 2025, son recueil Petite mère – écrits au fil de visites à sa mère centenaire, frappée par la maladie d’Alzheimer – a reçu le Prix des Trouvères Lycéens avant de paraître aux Éditions Henry (collection Écrits du Nord).