D’un paysage à l’autre — Isa Solfia Manzano
Entre désir et territoire, entre souffle et sillage, le recueil D’un paysage à l’autre d’Isa Solfia Manzano déploie une poésie organique, libre, profondément incarnée. Ici, le féminin n’est plus image mais force agissante, langage-rhizome. Une écriture vivante qui relie, qui répare, qui habite.
Une poésie-milieu, vibrante et incarnée
Ce n’est pas un livre de paysages, c’est un passage. Mieux : un tissage. Dans D’un paysage à l’autre, Isa Solfia Manzano ne se contente pas de décrire le monde – elle l’habite, elle le respire, elle l’éprouve. Sa poésie n’est pas contemplative, elle est organique, habitée par la chair, le désir, le végétal, le souffle, le vivant.
Ce recueil de 169 poèmes est une géographie intime, où le féminin retrouve sa voix et sa force agissante. Loin des clichés figés, le désir féminin se déploie ici comme une force de langage et de résonance. Il palpite, il s’enracine, il traverse. Il est langue, rythme, relation.
Chaque poème est un seuil, un glissement. On passe d’un corps à l’autre, d’un amour à une forêt, d’un mot à une pluie d’oiseaux. On sent les fluides, les racines, les élans, les silences. Ce n’est plus une écriture de la séparation, mais de la jonction : une poésie qui relie, qui répare, qui rend visible ce qui palpite sous la surface.
Isa Solfia Manzano écrit avec la peau, les mains, les ombres et la joie. Elle trace un chemin entre écopoétique et philosophie du vivant, où l’intime devient territoire, et le langage, un acte de confiance. Son écriture est poreuse, ouverte, résolument libre : elle sème, elle rhizome, elle invite.
Les Cahiers du Tanargue, qui aiment les voix enracinées mais mouvantes, vibrent avec cette œuvre-paysage. Une œuvre à lire les pieds nus, le cœur ouvert, et les sens disponibles.
Isa Solfia Manzano
Auteure, poète et enseignante en lettres modernes, Isa Solfia Manzano vit et écrit depuis le Pays Basque. Sa voix poétique, traversée par la philosophie et l’écopoétique, explore les liens subtils entre le vivant et l’intime.
Elle est l’autrice de Vers de terre et autres poèmes zadistes (L’Harmattan, 2024), de D’un paysage à l’autre (Poésie.io, 2025), et publie régulièrement dans des revues littéraires.
Sa poésie, lucide et charnelle, cherche à « rhizomer avec l’invisible » et à inscrire l’infime dans le bruissement du monde.
✽ Extraits du recueil
(Sélection de trois poèmes parmi les 169 que contient l’ouvrage)
Poème 125
on écoutera le roulis de nos corps
les fluides qui s’échappent pour
se rejoindre encore
le doux tintement de nos baisers
lorsque le silence épais sera enfin
là
le flux de nos respirations mêlées
les moineaux et les merles au loin
dans la forêt
là-bas
le temps qui s’éloigne pour enfin nous
offrir
un espace pour nos jeux
sans doute ni souci
un monde tout entier pour notre poésie
Poème 95
nue dans tout ce qui me fait
entière
en terre
en chair
je m’abreuve de tes mains
j’espère ton corps
(supporte le mien)
entre les nuages
nagent mes rêveries
en voiles sauvages
j’aspire les aujourd’hui
je cerne je cercle
perchée aux parloirs
des oiseaux
je n’ai plus peur du noir
aux clartés de tes yeux
nue dans tout ce qui est là
Poème 152
mes errances gardent un goût de pêche et de curry
l’ombre repose mon silence
depuis les soleils des eaux qui me retiennent
je me nourris de racines et de rivières
invitant la légèreté à traverser ma montagne
je souffle sur l’absence
je pleure des pierres-lichen
j’accueille la vie et ses rengaines
dans l’éternel amplifié
de l’amour des nuages
un long baiser de sel
sur l’eau-de-vie sauvage
j’abandonne les plaies
me résous à Confiance
le café fume la lessive de mes naissances
j’habite la fragilité sur les collines de Joie
les bruissements du cœur
dans les battements des saisons
(vallée perdue des sourires de l’aube)
yeux de femme homme-embruns
j’embrasse tes souliers et offrande mes sources
parfum de sol où l’amour rhizome
charriant les semences des fleurs qui s’étreignent
debout sur le seuil
dos tourné aux heurts des violences passées
je passage vers un nous qui astre le vivant
je brasse les grains
(alcool de nos amours)
dans la chaleur de nos lampes
lampées de vie au goût de joie
j’asperge ton corps de mes sourires
tu es là
dans l’espace dilué de jours sans bords
rien ne nous empêche
et tout nous souffle
le vent fait chanter nos rivières
et tu coules en moi
foulant mes veines de tes beautés
nous sommes prairie demeure de chaque pierre
chaque feuille chaque ruisseau chaque racine
bruissant sous nos pas
nous
mousses d’argile
algues de lumière
chemin qui promesse les plumes de nos langages
nous musiquons lentement
patiemment dans les aubes-miroirs de l’amour